Taysir Batniji, artiste palestinien originaire de la bande de Gaza, expose aux Rencontres de la photographie d’Arles la série "Gaza to America, Home Away From Home". Il livre, à travers son oeuvre, une réflexion sur les notions d’identité et d’exil.
Vivant entre la France et la Palestine (où il n’a pas pu retourner depuis 2006) depuis son arrivée en Europe en 1993, il dit "vivre entre ces deux pays, ces deux géographies, ces deux cultures : mon travail est vraiment l’expression de cette situation d’entre-deux". Dans son projet photographique, il explique : "J’ai voulu à travers ce projet retracer l’histoire de mes cousins, la trajectoire que chacun a fait depuis Gaza jusqu’aux USA, comment chacun vit cette situation au quotidien, étant de culture arabe et de religion musulmane même s’ils ne sont pas tous pratiquants, comment ils se considèrent aujourd’hui".
"Ils se considèrent comme Palestiniens, mais aujourd’hui ils sont aussi Américains : c’est vraiment une double existence".
Les cousins de Taysir Batniji vivent dans un monde de paradoxes : "ils restent informés, lisent la presse arabe, leur cuisine est presque à 100% parlestinienne" et en même temps, note le photographe, "ils vivent dans des gated communities, des zones fermées, qu’ils ont choisi parce qu’il y a le confort, la sécurité, c’est un phénomène très à la mode aux Etats-Unis (...). C’est paradoxal, à Gaza on vit un enfermement imposé, là on a choisi de s’enfermer aussi, mais pour des raisons opposées".
Taysir Batniji voit-il son travail comme politique ? "C’est une situation délicate : quoique vous fassiez en tant qu’artiste, si vous vous présentez comme Palestinien vous êtes regardé à travers ce prisme. C’est aussi délicat, au sens où je me demande souvent si je ne suis pas en train d’exploiter une cause pour en faire un projet artistique", explique-t-il. Ainsi, "à chaque fois que je lance un projet, il est toujours question pour moi de cherche un moyen d’aller au-delà du discours politique, au-delà des clichés et pour déjouer l’image de la Palestine, qui limite les Palestiniens à deux positions, agresseurs ou victimes". Il reconnait toutefois qu’avec les années, le regard porté sur son travail a changé : "Heureusement, beaucoup d’institutions et de personnes s’intéressent à mon travail parce qu’il y a une dimension pas seulement politique mais aussi artistique, conceptuelle, esthétique".
"L’immigration est un sujet difficile", explique Taysir Batniji, interrogé sur la question par une auditrice : "Émigrer, c’est choisir de quitter son pays, quand on est obligé de le faire personne ne le fait en étant heureux". "C’est toujours mieux de pouvoir rester où on est, car une fois que vous partez, vous n’êtes plus la même personne, vous ne voyez plus les choses de la même façon, vous ne pouvez pas revenir en arrière", explique-t-il. Lui qui n’a pas pu revenir à Gaza depuis 2006 en raison du siège qui en bloque en partie les entrées, il explique que pour lui l’idéal serait, même s’il n’a pas l’intention de retourner s’y installer, "d’avoir dans [sa] tête l’idée qu’on peut y aller quand on le souhaite".